Chères consœurs, chers confrères,

Je souhaite partager avec vous l’analyse de l’Ordre concernant le rapport de la Commission indépendante sur le caribou forestier et montagnard en regard de la pratique professionnelle des ingénieurs forestiers.

Rappelons que le mandat de la Commission était de « recueillir les opinions des parties intéressées concernant les deux scénarios théoriques, proposés par le MFFP, mais également sur des variantes possibles ou toute idée qui permettraient de trouver un équilibre réaliste et défendable pour concilier l’objectif de protection du caribou forestier et les intérêts économiques en jeu » (nos soulignés). La Commission n’avait pas la responsabilité de définir cet équilibre ni d’élaborer une stratégie de protection du caribou forestier. Cette tâche incombe au ministère des Ressources Naturelles et des Forêts (MRNF).

Il serait ici trop long d’analyser chacune des recommandations alors nous les avons regroupées en quatre catégories : la gouvernance, la protection du milieu, les actions de mitigation et le maintien des bénéfices socio-économiques.

Gouvernance

Les recommandations 1 à 7 et 33 à 35 mentionnent l’urgence de poser des actions concrètes en fonction des connaissances déjà établies, de poursuivre les études et les recherches et de miser sur la collaboration entre les parties prenantes, notamment avec les Premières Nations, en réunissant les acteurs et les experts pour élaborer les solutions.

La Commission insiste également sur l’importance de faire un suivi des actions qui seront mises en œuvre, un facteur clé du succès d’une éventuelle stratégie de protection du caribou forestier et d’un aménagement forestier durable.

L’Ordre est donc favorable à ces propositions axées sur la notion de territorialité, faisant appel au sentiment d’appartenance des parties prenantes et des ingénieurs forestiers, à leur collaboration et leur imputabilité afin d’assurer l’efficience et la réactivité des systèmes.

La protection du milieu

Ici, nous regroupons les recommandations 8 à 15, 17 à 19, 21 à 23 qui traitent notamment des aires protégées et autres zones favorisant la restauration de l’habitat ainsi que des moratoires sur les interventions forestières et la gestion des usages autres que la production de matière ligneuse. Ces recommandations visent à réduire les perturbations dans l’aire de distribution de l’espèce. Elles sont aussi susceptibles de favoriser le maintien de la biodiversité, des activités ancestrales des Premières Nations et des services écologiques. Il est difficile d’évaluer précisément leurs impacts positifs et négatifs sur la pratique de l’aménagement forestier en général et sur la filière bois en particulier. Des analyses professionnelles plus détaillées sont nécessaires, mais nous croyons qu’il est possible de développer des modalités d’intervention et d’aménagement susceptibles de minimiser ou de mitiger ces impacts.

Les actions de mitigation

Aux recommandations 16, 20, 24, 25, 27, 30, on propose de poursuivre et même d’accentuer certaines actions déjà mises en place dont la mise en enclos et la reproduction assistée, la gestion et la fermeture des chemins forestiers. Ces mesures semblent déjà porter fruit. Puisque la restauration et la protection de l’habitat du caribou forestier s’opèrent dans la durée, il est nécessaire d’assurer le maintien de cheptels qui pourront recoloniser les territoires.

La Commission suggère de réaliser plus de travaux sylvicoles afin de mitiger les impacts d’une protection accrue des milieux naturels. Cependant, la sylviculture, comme la restauration des écosystèmes, est une œuvre qui s’inscrit dans la durée. Ces résultats ne seront concrets que dans plusieurs décennies. C’est pourquoi il faut agir dès maintenant et effectuer les suivis nécessaires pour en assurer le succès.

Les bénéfices socio-économiques

Par leurs recommandations 26, 28, 29, 31, 32, les commissaires démontrent une préoccupation certaine pour la mitigation des impacts socio-économiques. Ils suggèrent que des programmes et des mesures d’aide à la transition soient mis en place rapidement pour aider les communautés à faire face aux enjeux liés à une éventuelle baisse des activités de récolte de matière ligneuse et d’autres activités récréotouristiques. Comme nous évoluons dans un environnement fini, la croissance ne peut être infinie et l’augmentation de la production ou la protection d’une ressource se font bien souvent au détriment d’une autre. L’Ordre prône une approche par la valeur plutôt que par la quantité, en considérant l’ensemble des ressources. Ceci est susceptible de renforcer tous les maillons de la chaîne de valeur pour rendre l’économie des régions plus robuste et plus résiliente.

En conclusion

L’Ordre est d’avis qu’il faut s’inscrire dans une approche globale de durabilité et de résilience des écosystèmes, respectueuse des valeurs et attentes des populations et des communautés, et génératrice de richesses. Il ne s’agit plus de faire un choix entre des caribous et des emplois, mais plutôt de trouver une formule d’aménagement qui favorise une pluralité d’éléments, afin d’épouser le concept de biodiversité. Il nous serait alors permis d’apprécier les avantages et les inconvénients de différentes options à la lumière de bénéfices plus larges.

Dans la foulée de la COP15 et de l’intensification des discussions sur l’importance de la biodiversité à divers égards, il s’agit aussi de dire haut et fort qu’il est urgent de prendre véritablement assise sur l’expertise et les compétences des professionnels, que ce travail soit cohérent et transparent et que les solutions et leur impact soient bien documentés. Cela ne commande pas une grande révolution, mais un engagement clair de nos décideurs et il faut commencer maintenant.