Le 28 juillet 2015, quatre étudiants du baccalauréat en Aménagement et environnement forestiers de l’Université Laval, Olivier P. Gagnon, Xavier Noël-Monastesse, Félix Poulin et Émilie St-Jean, se sont dirigés vers les Philippines pour participer au 43e symposium organisé par l’organisation jeunesse mondiale, International Forestry Students Association. Durant les deux semaines qu’a duré le symposium, ils ont pu en apprendre beaucoup sur la foresterie de ce pays et particulièrement sur l’importance énorme des forêts de mangroves pour les populations et la biodiversité.
Il y a bien longtemps, les Philippins qui voyaient les mangroves peupler les côtes de l’île de Luzon pouvaient s’exclamer: «May Nilad», en français: «il y a du Nilad». C’est donc de par May Nilad qu’on nomme aujourd’hui la capitale nationale Manille. Bien paradoxal, parce qu’il ne reste maintenant plus aucune trace de cette espèce de mangrove dans la baie.
Dans un pays où l’on retrouve 39 des 74 variétés de mangroves du monde, l’histoire des populations s’est forgée de manière très étroite avec cette plante de milieux marins. On reconnaît aisément les mangroves par leur grand réseau de racines qui plongent dans les marécages et autres milieux marins sur les côtes et les rives des cours d’eau. S’établissant dans les estuaires, là où les courants rencontrent la mer, la mangrove tolère bien l’eau salée grâce à l’épaisse couche de cire qui recouvre ses feuilles et aux glandes spéciales qui contrôlent la quantité de sel qu’elle absorbe. La plupart des mangroves ont des semences, des propagules, qui commencent à germer alors qu’elles sont encore attachées à l’arbre, commençant ainsi à croître rapidement après être tombées des branches.
Les mangroves sont très importantes pour les écosystèmes et les populations. En plus de filtrer l’air de ses polluants, elles fournissent refuge aux oiseaux migrateurs et à la vie aquatique très diverse des tropiques. En abritant ainsi plusieurs espèces de crustacés et de poissons, elles offrent l’opportunité aux petites communautés de se nourrir de la pêche. À Kabasalan, dans la province de Zamboanga, la récolte d’un voyage de pêche est passée de 7-10 kg de poissons à 2 kg de poissons à cause de la diminution en recouvrement des mangroves dans la baie. De plus, leurs racines procurent un ancrage efficace aux sols le long de la côte et agissent sur la filtration de l’eau empêchant les sédiments d’altérer les cours d’eau. Mais la qualité principale des bosquets de mangrove est d’absorber les impacts des tempêtes tropicales et des typhons. Les quartiers de Kabasalan qui sont près de la côte sont beaucoup plus vulnérables aux vagues et aux inondations suite aux tempêtes, après que la majeure partie de leurs forêts de mangrove ait été décimée.
En 1918, on dénombrait plus de 500 000 hectares de forêts de mangrove. Son recouvrement a diminué tout au long du 20e siècle pour arriver à un minimum de 100 000 hectares. Depuis environ 20 ans, le gouvernement et de nombreux organismes ont travaillé à rétablir ces forêts; en 2003, elles occupaient 250 000 ha. Les causes de déforestation sont diverses. Une portion du territoire a été convertie pour faire l’élevage de crevettes ou de poissons. Il y a eu également une surexploitation légale et illégale de la forêt pour produire du charbon de bois ou seulement en arrachant l’écorce de certaines espèces pour produire de la teinture. Les nombreuses catastrophes écologiques comme les super typhons ont décimé des forêts avec leurs vents forts et leurs puissantes vagues. Finalement, la croissance de la population des Philippines a amené de nombreux habitants à convertir les terres en lieux habitables ou en terres agricoles.
Kabasalan fait partie des villes qui connaissent un programme de réhabilitation des mangroves, une initiative menée là-bas par le maire sortant. Depuis vingt ans, le village contribue à rétablir d’anciens bassins d’aquaculture et des côtes vierges en forêt de mangroves. Au fil des années, les membres de cette communauté locale ont appris comment améliorer leur taux de réussite. Par exemple, pour protéger les jeunes plantations de trop fortes vagues, d’animaux néfastes ou même des pêcheurs ne leur prêtant pas attention, des barrières de filets ont d’abord été installées. Cependant, ces filets obstruaient les rivières et attrapaient involontairement des poissons immatures. Ceux-ci ont donc été remplacés par une patrouille qui circule pour surveiller les plantations, sensibiliser les gens des environs et empêcher ceux qui auraient endommagé les jeunes plants de le faire.
La réhabilitation des forêts de mangrove aux Philippines présente certains obstacles. Ce ne sont pas tous les projets qui ont eu autant de succès que Kabasalan. Beaucoup de plants n’ont pas survécu à cause d’une mauvaise application des connaissances scientifiques : plantation sur sites inappropriés, utilisation d’essences inappropriées ou encore mauvaise technique de plantation. Les mangroves sont aussi victimes d’invasion de mollusques.
Durant notre symposium, nous avons pu visiter la ville de Pagbilao, un autre village qui soutient les efforts de plantation de mangroves sur ses côtes. Il a été possible d’apprendre la bonne façon de planter les propagules. Certaines espèces demandaient d’être d’abord élevées dans des pépinières pour qu’elles obtiennent un bon taux de survie, mais la Rhizphora plantée n’était qu’à un stade tôt de croissance. Il fallait d’abord creuser un trou avec un bâton pour insérer la propagule dans le sol sans l’endommager pour ensuite l’attacher à un tuteur de bois.
En conclusion, la réalité d’extrême pauvreté des habitants locaux ainsi que le manque d’application des connaissances scientifiques sont les principaux obstacles au regarnissement des forêts de mangrove sur les côtes de l’archipel philippin. Heureusement, plusieurs chercheurs et initiatives locales travaillent activement à ce que ces bosquets puissent à nouveau prodiguer leurs multiples bienfaits aux populations côtières et à la biodiversité.
Un texte de Émilie St-Jean, Félix Poulin et Xavier Noël-Monastesse