Une décision du Conseil de discipline rendue le 20 février 2020 statue pour une rare fois sur l’importance du plan d’aménagement forestier (ci-après : « PAF ») dans le milieu forestier1.
Cette décision met en évidence des pratiques à ne pas reproduire et rappelle certaines obligations professionnelles des ingénieurs forestiers dans ce domaine, notamment le volet « conseil » auprès des propriétaires2.
Dans cette affaire, un propriétaire de boisé mécontent dépose une demande d’enquête au Bureau du syndic de l’Ordre contre l’ingénieur forestier de son voisin de lot. Au terme de l’enquête, la syndique adjointe reproche à l’ingénieur forestier plusieurs manquements qui se résument ainsi :
· Ne pas avoir cherché à avoir une connaissance complète des faits lors de la préparation et de la signature d’un plan d’aménagement forestier en ne prenant pas les moyens nécessaires pour bien identifier, décrire et cartographier ladite propriété, contrevenant ainsi à l’article 14 du Code de déontologie (chef 1).
· Avoir posé un acte dérogatoire à l’honneur et à la dignité de la profession en omettant de communiquer avec les propriétaires de la propriété forestière faisant l’objet d’un plan d’aménagement forestier, afin de valider auprès d’eux :
o les informations relatives à la propriété;
o leurs objectifs de producteur forestier;
o leur connaissance d’éléments essentiels, telles la réglementation municipale et les conséquences qui découlent de son non-respect;
o le statut de représentant autorisé de l’entrepreneur des travaux de récolte;
contrevenant ainsi à l’article 59.2 du Code des professions (chef 2).
· Avoir omis une donnée nécessaire dans le plan d’aménagement forestier en ne faisant pas signer les propriétaires, dérogeant à l’article 13 du Code de déontologie (chef 3).
· Avoir eu recours à des procédés douteux en acceptant qu’un plan d’aménagement forestier soit signé par un tiers, soit l’entrepreneur de travaux de récolte, et au surplus, sans valider d’aucune façon son statut de représentant autorisé des propriétaires, dérogeant cette fois à l’article 18 du Code de déontologie (chef 4).
· Dans l’exécution de ses devoirs et obligations, de s’être laissé influencer par un tiers, soit l’entrepreneur des travaux de récolte, en utilisant ses données GPS (au surplus incomplètes), en basant son avis professionnel essentiellement sur les dires de ce tiers et en n’effectuant pas de vérifications supplémentaires utiles, et ce au préjudice des propriétaires, contrevenant ainsi à l’article 30 du Code de déontologie (chef 5 ).
Que s’est-il passé ?
L’ingénieur forestier travaille pour une compagnie d'experts-conseils en aménagement forestier.
À la mi-novembre 2015, il est mandaté par un entrepreneur de travaux de récolte afin de produire un PAF pour une propriété appartenant à madame G. et monsieur C. Les lots concernés sont situés à la limite sud d’une propriété appartenant à monsieur H., le voisin mécontent.
La preuve démontrera que l’ingénieur forestier n’a jamais rencontré les propriétaires du terrain faisant l’objet du PAF ni même communiqué avec eux. Le PAF n’est pas signé par eux non plus, mais par l’entrepreneur des travaux de récolte.
L’entrepreneur débute les travaux de coupe dès le 18 décembre 2015, avant même que le PAF ne soit signé. Dès le début des travaux, le voisin, monsieur H., constate que les travaux de coupe empiètent sur sa propriété et il avise immédiatement l’entrepreneur de cesser ses travaux.
En novembre 2017, monsieur H. dépose une demande de dédommagement au civil contre l’entrepreneur et les propriétaires du terrain. Il leur réclame un montant de 409 073 $ correspondant aux dommages liés à un empiètement de 4,15 hectares sur sa propriété.
La responsabilité de l’ingénieur forestier ne sera finalement pas mise en cause dans ce litige civil, mais entrainera une demande d’enquête au Bureau du syndic et ultimement une plainte sera déposée devant le Conseil de discipline.
L’ingénieur forestier collabore à l’enquête de la syndique adjointe. Il reconnaît sa responsabilité et avoir commis les manquements reprochés. Il mesure la gravité de ceux-ci. Il reconnaît ses torts et il regrette les gestes qu’il a posés. Il plaide coupable aux cinq chefs de la plainte disciplinaire et les parties présentent au Conseil de discipline des recommandations communes concernant les sanctions à imposer dans cette affaire.
La décision du Conseil de discipline
Le Conseil de discipline fait les constats suivants :
« En matière de gravité objective, les infractions commises par M. (…) sont graves.
En apposant sa signature sur un plan d’aménagement forestier d’une forêt privée sans avoir une connaissance suffisante des faits, M. (…) compromet la qualité et la fiabilité de sa signature.
Or, la signature d’un ingénieur forestier sur un acte professionnel comme un plan d’aménagement forestier est primordiale à la fiabilité du système forestier.
Cette signature doit être un gage de qualité et de fiabilité pour tous les intervenants du milieu [réf. citée].
Selon la preuve, le Conseil constate que M. (…) n’a pas pris les moyens nécessaires pour bien identifier, décrire et cartographier ladite propriété. Il a de plus omis de communiquer avec les propriétaires du terrain, ne leur a pas fait signer le plan d’aménagement et il a accepté que ledit plan soit signé par l’entrepreneur des travaux de récolte, et ce, sans valider son statut de représentant autorisé. Enfin, il s’est laissé influencer en utilisant les données GPS de l’entrepreneur des travaux de récolte et en basant son avis professionnel sur les dires de ce tiers sans effectuer de vérifications supplémentaires.
Le Conseil est d’avis que les gestes commis par M. (…) se situent au cœur même de la profession. Ils minent la confiance du public envers les ingénieurs forestiers et portent ombrage à l’ensemble de la profession.
Toutefois, en l’espèce, M. (…) reconnaît les faits allégués dans la plainte modifiée puisqu’il a plaidé coupable à la première occasion. Le Conseil se doit également de souligner qu’il n’a pas d’antécédents disciplinaires.
Les parties soutiennent que l’imposition d’amendes totalisant 8 000 $ ainsi que deux réprimandes sont dissuasives et exemplaires vu la nature des infractions commises par M. (…).
Le Conseil rappelle que le but du droit disciplinaire n’est pas de punir le professionnel, mais de corriger un comportement en lui permettant de continuer d’exercer sa profession. »3 (nos soulignés)
Conclusion
Peu de décisions disciplinaires abordent la question du plan d’aménagement forestier et réitèrent l’importance de cet acte professionnel dans le système forestier actuel.
Un premier constat émane de cette décision : la confection d’un PAF n’est pas une simple formalité, c’est un acte professionnel au même titre qu’une prescription ou un rapport d’exécution. Son caractère plus général et prospectif n’enlève rien à la qualité et la fiabilité qui doivent s’en dégager.
Un deuxième constat : l’ingénieur forestier a des obligations envers le propriétaire, même si le mandat de confectionner le PAF provient d’un tiers. L’acte professionnel est intimement lié à la propriété - objet du PAF- et de ce fait, engage la responsabilité de l’ingénieur forestier envers le propriétaire, notamment à l’égard du rôle-conseil.4
Troisième constat : même si le contenu d’un PAF n’a pas à être aussi précis que celui d’une prescription ou un rapport d’exécution et que son utilité est prospective, l’ingénieur forestier doit tout de même prendre les moyens raisonnables pour s’assurer de la description adéquate de la propriété; de l’exactitude des données utilisées pour la confection du PAF; de la compréhension adéquate du propriétaire sur son contenu et de la validation, le cas échéant, du statut de représentant autorisé.
Ces communications entre l’ingénieur forestier et le propriétaire sont au cœur du rôle-conseil attendu d’un professionnel et par sa signature, le propriétaire confirme qu’il est informé du contenu du PAF, du type de travaux à venir et de ce qui justifie ce choix, des exigences réglementaires qui y sont associées, le cautionne et consent à la poursuite des activités envisagées.
Code de déontologie des ingénieurs forestiers (chapitre I-10, r.5) 13. Dans toute communication écrite ou verbale, notamment dans la préparation de plans et devis, l’ingénieur forestier doit éviter d’insérer sciemment de fausses données ou d’omettre des données nécessaires. 14. L’ingénieur forestier doit s’abstenir d’exprimer des avis ou de donner des conseils contradictoires ou incomplets. À cette fin, il doit chercher à avoir une connaissance complète des faits avant de donner un avis ou un conseil. 18. L’ingénieur forestier ne doit pas recourir ni se prêter à des procédés malhonnêtes ou douteux ni tolérer de tels procédés dans l’exercice de ses activités professionnelles.
30. L’ingénieur forestier doit ignorer toute intervention d’un tiers qui pourrait influer sur l’exécution de ses devoirs et obligations professionnels au préjudice de son client. Code des professions (chapitre C-26) 59.2. Nul professionnel ne peut poser un acte dérogatoire à l’honneur ou à la dignité de sa profession ou à la discipline des membres de l’Ordre ni exercer une profession, un métier, une industrie, un commerce, une charge ou une fonction qui est incompatible avec l’honneur, la dignité ou l’exercice de sa profession. |
[1] Décision disciplinaire 23-19-00004 accessible sur le site Internet de l’Ordre : https://www.oifq.com/protection-du-public/decisions-disciplinaires
[2] Le présent texte se veut un résumé d’une décision disciplinaire basé strictement sur les faits repris dans la décision ou sur des éléments produits en preuve lors de l’audition. Il
ne s’agit ni d’un texte d’opinion ni d’un avis de nature juridique. Les éléments supplémentaires contenus au dossier d’enquête et non produits en preuve, ou non admis en preuve, de même que les faits protégés par une ordonnance de non-publication sont expressément exclus.
[3] Extrait de la décision 23-19-0004, paragraphe [69] à [77]
[4] Il demeure des cas exceptionnels ou le propriétaire peut être représenté par une personne autorisée. Les devoirs et obligations de l’ingénieur forestier se transposent alors à ce représentant autorisé. Le premier devoir de l’ingénieur forestier sera de s’assurer de la qualité de l’acte de délégation. Le niveau de prudence devrait être rehaussé si le représentant autorisé peut avoir des intérêts opposés au groupe ou entité qu’il représente (ex. : en matière successorale).