Une récente décision rendue par le Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec rappelle la réponse à cette question1.
L’affaire est simple : le syndic de l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec (ci-après « OIFQ ») reproche à un ingénieur forestier d’avoir omis de donner suite dans les délais requis à un avis d’inspection professionnelle (soit de produire son questionnaire d’inspection professionnelle), et ce, malgré de nombreux rappels.
Le contexte de l’infraction
L’ingénieur forestier concerné est directeur de deux usines de bois qui emploient près de 350 personnes. Au moment de sa démission, il est membre de l’Ordre depuis plus de 18 ans. Il n’a aucun antécédent disciplinaire ni problématique que ce soit à l’Ordre.
Dans le cadre du programme d’inspection 2017-18, il reçoit, avec 225 de ses confrères et consœurs, son questionnaire d’inspection professionnelle. Il ne produit pas son questionnaire dans les délais requis. Il bénéficie d’un premier délai, s’engage à remplir son questionnaire, mais ne le fait pas. Il bénéficie d’un deuxième délai, s’engage à nouveau à remplir son questionnaire et n’y donne pas suite encore une fois. Dans les faits, l’inspecteur Gaumond lui laissera la période des fêtes 2018 pour s'acquitter de son obligation. Il ne produira jamais son questionnaire.
L’entrée en scène du syndic, qui lui réitère l’obligation de produire le questionnaire, se traduit par une démission de l’OIFQ en date du 14 mars 2019.
Le syndic dépose une plainte disciplinaire le 4 juin 2019. On lui reproche :
« Du 5 décembre 2017 au 14 mars 2019, a omis de donner suite dans les délais requis à un avis d'inspection professionnelle de l'inspecteur, et ce, malgré de nombreux rappels, notamment ceux du 2 février 2018, du 26 avril 2018, du 10 octobre 2018 et du 19 octobre 2018 et malgré une lettre réitérant l'obligation de répondre à l'avis d'inspection, envoyée par le syndic Serge Pinard, ing.f., notifié le 14 mars 2019, contrevenant ainsi à l'article 52 du Code de déontologie des ingénieurs forestiers du Québec (c. 1-10 , r.5) et à l'article 114 du Code des professions (c. C-26). »2
Comment évoluent les événements devant le Conseil de discipline ?
L’ingénieur forestier reconnait dès le début sa culpabilité. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la sanction juste et appropriée dans les circonstances.
Il appartient donc au Conseil d’imposer la sanction « ...après avoir pris en compte tous les facteurs objectifs, soit ceux qui sont rattachés à l’infraction elle-même, et les facteurs subjectifs, c’est-à-dire ceux qui se rattachent au professionnel. Le Conseil doit aussi tenir compte de toutes les circonstances aggravantes et atténuantes qui sont propres au dossier. »3
Le Conseil rappelle « ...que la sanction vise non pas à punir le professionnel fautif, mais à assurer la protection du public. Elle doit, en outre, dissuader la récidive du professionnel et être un exemple pour les autres membres de la profession. »4
Après avoir pris connaissance des documents et entendu les témoins, le Conseil conclut que l’ingénieur forestier a fait preuve d’une négligence inacceptable. Les raisons invoquées pour ne pas remplir le questionnaire d’inspection professionnelle, soit le surplus de travail et ses contraintes familiales peuvent expliquer certains délais mais ne peuvent constituer une incapacité d’agir. Le Conseil note les chances qu’a eues l’ingénieur forestier de remplir le questionnaire, chances qu’il n’a pas saisies.
Le Conseil rappelle « ... qu’en contrepartie du privilège que lui confère le droit d’exercer sa profession, le membre d’un ordre professionnel a l’obligation de respecter les exigences édictées par son Ordre.
La principale mission de chaque ordre professionnel est la protection du public.
L’inspection professionnelle est un outil important dans l’accomplissement de cette mission.
Le défaut de répondre à une correspondance du Service d’inspection professionnelle de son ordre professionnel constitue une infraction grave. Cette infraction a eu comme conséquence directe de paralyser le travail de l’inspecteur (... ) dans le cadre de sa mission de protection du public.
Le Conseil retient comme élément aggravant additionnel le fait que ce manque de collaboration a persisté du mois de décembre 2017 au mois de mars 2019 et qu’au surplus, l’ingénieur forestier n’a toujours pas rempli le questionnaire d’inspection professionnelle au moment de l’audition devant le Conseil.»5
Finalement, après avoir entendu l’ingénieur forestier, le Conseil demeure d’avis que le risque de récidive ne peut être complètement écarté.
Quelle sanction a été imposée ?
« Le volet d’exemplarité doit être reflété par les sanctions que le Conseil doit imposer. Il s’agit de l’un des objectifs reconnus dans le cadre de l’imposition d’une sanction en droit disciplinaire.
Pour le chef à l’étude, la notion d’exemplarité trouve son fondement dans la gravité de l’infraction et dans la nécessité d’assurer la protection du public.
La sanction à être imposée doit être significative afin d’avoir un caractère dissuasif. En effet, une sanction qui se veut généralement dissuasive est celle qui vise à décourager ou à empêcher les autres membres de la profession de se livrer aux mêmes gestes que ceux posés par (...) »6.
Le Conseil considère dès le départ que la gravité des faits dans cette affaire ne justifie pas de se limiter à la moindre des sanctions disciplinaires : « ...l’imposition d’une réprimande (....) pour une infraction de cette nature lancerait toutefois un message négatif au sein de la profession et risquerait de banaliser des manquements à des devoirs de toute personne qui décide de devenir membre d’un ordre professionnel et qui se doit de savoir que la fonction principale des ordres professionnels est d’assurer la protection du public et s’engage à y participer dans l’exercice de sa profession.
Afin d’assurer la protection du public, le Conseil croit qu’il y a lieu d’imposer (...) une amende.
Le Conseil rappelle que chaque sanction doit être évaluée en fonction des éléments propres à chaque dossier et au professionnel à qui elle est imposée.
Afin de respecter le caractère dissuasif que doit comporter une sanction, le Conseil est d’avis qu’une amende de 3 000 $ est juste et proportionnée. »7
Est-ce que la démission de l’ingénieur forestier a changé quelque chose ?
Le réflexe est humain. Se voyant contraint par son Ordre ou inquiété d’une possible plainte disciplinaire, un membre choisit de démissionner croyant ainsi se libérer de ses obligations ou de limiter sa responsabilité.
Sous réserve de certaines nuances, considérez que la démission ne change rien. Du moment que le manquement reproché a été fait alors que vous êtes membres de l’OIFQ, le syndic peut porter plainte contre vous.8
Dans le cas à l'étude, advenant que le membre veuille se réinscrire à l’OIFQ, une condition à la réadmission serait de remplir son questionnaire d’inspection.9
Le questionnaire d’inspection professionnelle, comme toute autre communication avec votre Ordre, doit être considéré avec sérieux. Une absence de réponse peut avoir de graves conséquences, particulièrement auprès de l’inspection professionnelle et le Bureau du syndic. Vous n’avez d’autres choix que de le prioriser dans votre horaire et faire contre mauvaise fortune, bon cœur, considérer que de ne rien faire pourrait être bien pire !
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1 Décision disciplinaire 23-19-00002 (disponible sur le site Internet de l’Ordre au www.oifq.com/protection-du-public/decisions-disciplinaires). La décision 23-14-00001 traite aussi de cette question de même que la décision 23-04-00001 à l’égard de l’obligation de répondre au syndic de l’Ordre.
2 Décision 23-19-00001, par. [5]
3 Id., par. [78]
4 Id., par. [77]
5 Id., par. [88] à [93]
6 Id., par. [100] à [102]
7 Id., par. [106] à [109]
8 Articles 116 et 122 du Code des professions (c. C-26)
9 Article 46.0.1 du Code des professions (c. C-26)
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Note au lecteur : un nouveau Règlement sur l’inspection professionnelle est entré en vigueur le 1er janvier 2020. La nouvelle règlementation et le processus interne ne permettront plus de bénéficier de délais aussi longs que ceux exceptionnellement consentis dans cette affaire.