Le 2 novembre 2019, le Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs forestiers rendait une décision statuant sur des manquements reprochés à un ingénieur forestier dans une plainte déposée par la syndique adjointe1.

Cette affaire disciplinaire provient d’un litige civil qui implique les propriétaires de deux lots contigus.  La partie qui demande des dommages et intérêts est accompagnée d’un ingénieur forestier qui agit à titre de témoin expert.  C’est la partie adverse qui demande une enquête au Bureau du syndic à l’égard de cet ingénieur forestier.

D’abord le contexte des événements.

Monsieur F. et madame L. possèdent une propriété sur laquelle est construite leur résidence principale. Ce terrain est adjacent à la propriété forestière de madame C. qui s’étend sur un peu plus de 42 hectares, sans bâtisse érigée.

En septembre 2016, le couple F.-L. fait installer une piscine à l’arrière de leur résidence. Ils sont dans l’impossibilité de faire passer la piscine et les équipements lourds sur leur propriété. Ils y accèdent donc par le biais de la propriété de madame C. sans en discuter au préalable avec elle et donc, sans autorisation. Ils font couper un certain nombre d’arbres et procèdent à des travaux de nivellement pour aménager un chemin sur le terrain de madame C.

Madame C. constatant l’état de sa propriété communique avec l’une de ses connaissances, ingénieur forestier, pour lui demander d’évaluer les dommages. L’ingénieur forestier accepte de l’aider.

Le mandat d’évaluer les dommages se traduit par la production d’un rapport d’évaluation, rapport qui sera produit au soutien d’une demande devant la Cour du Québec – Division des petites créances contre le couple F.- L. Madame C. réclame des dommages, notamment pour les arbres coupés sur sa propriété.

Le rapport préparé par l’ingénieur forestier et son addenda sont présentés en preuve. De plus, l’ingénieur forestier témoigne comme expert.

La juge émet des réserves quant à l’évaluation des dommages et la méthode utilisée par l’ingénieur forestier. De plus, elle remet en question la crédibilité de son témoignage.

Dans son jugement la juge conclut que le couple F.- L- a commis une faute, mais elle rejette la demande de dédommagement présentée par Madame C.3.

Pourquoi le Bureau du syndic a-t-il eu à intervenir ?

L’ingénieur forestier concerné est membre en règle de l’OIFQ depuis 1986 et compte plus de 35 ans d’expérience essentiellement à titre de directeur des services forestiers et responsable de la mise en valeur de terres publiques intermunicipales.

Malgré son expérience dans le domaine forestier, l’ingénieur forestier n’a pas d’expertise ni de connaissances en matière d’évaluation forestière. Il n’a pas suivi de formation particulière à cet égard. Il n’a pas non plus d’expérience en tant que témoin expert.

La preuve produite devant le Conseil de discipline confirme que l’ingénieur forestier avait indiqué à sa cliente que les arbres coupés n’avaient pas une valeur marchande très élevée. Malgré tout, il produira un rapport d’évaluation des dommages qui établira le coût de la remise en état à 91 850 $ pour 397 arbres coupés.

Ce manque de connaissance et la mauvaise évaluation de la portée du mandat qui lui fut confié l’ont amené à commettre plusieurs erreurs :

- D’avoir manqué à son devoir d’adopter une conduite empreinte d’objectivité et d’honnêteté intellectuelle suivant l’article 2 du Code de déontologie des ingénieurs forestiers, en :

donnant à sa cliente des opinions, conseils et avis partiaux, dépourvus du détachement et de l’objectivité requis et attendus d’un expert alors responsable d’évaluer les dommages liés à la destruction d’arbres (chef 1);

signant et présentant, à titre d’expert, un « Rapport d’évaluation des dommages » destiné à servir devant un Tribunal, en concluant à une valeur de remplacement de la végétation prélevée de 91 850 $ pour une superficie de 673 m2  (chef 2);

signant, à titre d’expert, une « Déclaration pour valoir témoignage » adoptant une position partiale, dépourvue du détachement et de l’objectivité requis et attendus d’un expert devant témoigner devant le Tribunal (chef 3).

- D’avoir préparé et signé un avis portant sur l’évaluation de dommages liés à la destruction d’arbres sur une propriété, soit un « Rapport d’évaluation des dommages » alors qu’il n’avait pas les connaissances suffisantes pour produire un tel avis, dérogeant ainsi à l’article 5 du Code de déontologie des ingénieurs forestiers (chef 4).

- Ne pas avoir tenu compte des limites de ses connaissances et de ses moyens en acceptant le mandat confié par sa cliente d’évaluer les dommages subis sur sa propriété, dérogeant cette fois à l’article 8 du Code de déontologie des ingénieurs forestiers (chef 5).

Et finalement :

- D’avoir omis de maintenir en vigueur un contrat d’assurance responsabilité professionnelle, alors qu’il a posé des actes liés à l’exercice de la profession d’ingénieur forestier, en donnant des opinions, conseils et avis liés à la foresterie et en produisant un rapport en matière d’évaluation de dommages liés à la destruction d’arbres, le tout en contravention de l’article 1 du Règlement sur l’assurance responsabilité professionnelle de l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec (chef 6).

En conclusion

Tout professionnel peut être sollicité par des connaissances pour les aider dans des domaines qui concernent de près ou de loin la foresterie.  Avant d’aider une connaissance, la conseiller ou l’accompagner à titre d’expert, il faut vous demander si vous avez les connaissances et les moyens d’agir à ce titre et si vous serez en mesure de garder votre objectivité et une distance professionnelle en tout temps.

Il faut s’assurer de bien comprendre les attentes du client et de convenir des services professionnels dans une entente. Ce sera l’occasion de prévoir expressément les limites à votre mandat s’il y a lieu.

Finalement, même si vous avez bénéficié d’une exemption d’assurance responsabilité professionnelle pour une bonne partie de votre carrière, si vous réorientez votre carrière, il faut développer le réflexe de revoir sans délai votre dossier d’assurance professionnelle à l’Ordre (et ne pas attendre le renouvellement annuel). Vous devez vous assurer que l’exercice de vos activités soit bien couvert par l’assurance responsabilité professionnelle s’il y a lieu et de bien évaluer le risque assurable avec votre assureur.

Dans cette décision, le professionnel a reconnu sa culpabilité et le Conseil de discipline a retenu la proposition commune sur sanction présentée par les parties prévoyant des réprimandes et des amendes totalisant 8 000 $. Le Conseil de discipline a tenu compte de facteurs objectifs et suggestifs, aggravants comme atténuants.

Code de déontologie des ingénieurs forestiers

(chapitre I-10, r.5)

2. La conduite de l’ingénieur forestier doit être empreinte d’objectivité et d’honnêteté intellectuelle. Son premier devoir consiste à tenir compte des conséquences de l’exécution de ses travaux sur l’environnement et sur la santé, la sécurité et la propriété de toute personne.

5. L’ingénieur forestier ne doit exprimer son avis sur des questions ayant trait à la foresterie, que si cet avis est basé sur des connaissances suffisantes. À cet effet, il doit maintenir à jour ses connaissances relatives à l’exercice de sa profession.

8. Avant d’accepter un mandat, l’ingénieur forestier doit tenir compte des limites de ses connaissances ainsi que des moyens dont il dispose.

Règlement sur l’assurance responsabilité professionnelle de l’Ordre des ingénieurs forestiers du Québec

(chapitre I-10, r.3)

1. Tout ingénieur forestier qui exerce sa profession à temps plein ou à temps partiel doit détenir et maintenir en vigueur un contrat d’assurance responsabilité professionnelle établissant une garantie contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité qu’il peut encourir en raison des fautes ou négligences commises dans l’exercice de sa profession.

L’ingénieur forestier assujetti à l’obligation prévue au premier alinéa doit fournir au secrétaire de l’Ordre, avant le 1er avril de chaque année, la preuve qu’il détient une police d’assurance en vigueur, conforme aux exigences du présent règlement et dont la prime a été acquittée, en déposant l’annexe 3 au secrétaire de l’Ordre.

 

[1] Décision disciplinaire 23-18-00002 (accessible sur le site Internet de l’Ordre : https://www.oifq.com/protection-du-public/decisions-disciplinaires

[2] Le présent texte se veut un résumé d’une décision disciplinaire basé strictement sur les faits repris dans la décision ou sur des éléments produits en preuve lors de l’audition. Il ne s’agit ni d’un texte d’opinion ni d’un avis de nature juridique. Les éléments supplémentaires contenus au dossier d’enquête et non produits en preuve, ou non admis en preuve, de même que les faits protégés par une ordonnance de non-publication sont expressément exclus.

[3] Charron c. Fortier, 2018 QCCQ 6361 (CanLII)